Epiphanie
Récit par Justine Rougemont
Où est passée ma bague ? ©
Cette question finit par devenir lancinante, car depuis le matin Brigitte la pose à tout le monde, ses enfants, son mari, sa belle-mère, sans trouver de réponse.
En ce matin d’Epiphanie c’est une tablée de 18 convives qui se prépare. L’accumulation des tâches ménagères de la semaine, préparation du repas, ménage, problèmes des enfants, décoration de la table, sans compter les habituels rendez-vous scolaires ou médicaux, ajoutée à la recherche de cette modeste, mais au combien symbolique bague de fiançailles, achève la résistance de ses nerfs.
Bien entendu belle maman, soi disant venue pour aider, est tout le temps dans le chemin, demandant sans arrêt ce qu’elle peut faire au lieu de prendre des initiatives et ne faisant rien.
Jacques, adorable comme toujours, mais incapable d’aligner un couvert ne lui est d’aucun recours. De plus, il a depuis quelques jours un drôle d’air, mi farceur mi énigmatique qui laisse présager d’une de ces plaisanteries qui ne font rire que lui.
Il faut dire que ce dimanche d’Epiphanie n’est pas comme les autres, puisqu’ aujourd’hui, 8 janvier, il y a exactement vingt ans que Brigitte est sortie de la mairie au bras de Jacques. Vingt années qu’elle n’a pas à le regretter, même si parfois il avait fallu adapter un peu l’image du prince charmant de ses 15 ans.
Les fameuses plaisanteries de Gérard ont certainement parfois aidé à sortir du train train et ils ont vu pas mal de leurs amis divorcer au bout de quelques années alors qu’eux ont tenu le choc.
L’envie n’a pourtant pas manqué durant toutes ces années de remettre les pieds de Jacques sur terre, de le secouer les nombreuses fois où il s’était laissé malmener dans le travail, de le trainer jusqu’à un club de gymnastique pour faire fondre le pneu naissant qui l’oblige à changer régulièrement de taille de pantalon.
Mais bon! Globalement elle n’a pas trop à se plaindre. Si seulement elle savait où est passée cette bague de fiançailles! Il n’aurait pas osé la lui cacher, quand même, le jour de leur anniversaire? En fait cette absence ressemblerait bien à une plaisanterie et le mieux est certainement d’attendre, l’air de rien, de ne pas entrer dans son jeu.
Les invités arrivant, prise dans le tourbillon familial et amical, la bague fut oubliée quelques heures, la mince alliance en or jaune lui permettant de ne pas ressentir le vide à son doigt.
L’heure du dessert arriva, et avec elle, bien sûr, la traditionnelle galette des rois et ses fèves «de collection». Cette année la mode s’en tient à un dessin animé récent et il faut lutter avec la petite dernière pour ne pas devoir acheter une galette tous les jours afin de compléter la collection. Seule ombre au tableau, Brigitte n’aime pas la galette des rois. Elle a horreur de la frangipane et n’a jamais osé le dire. Comment dire à son mari que le dessert d’anniversaire depuis vingt ans est détesté, alors que c’est sa mère qui a un jour déclaré que vu leur date de mariage on en ferait une tradition familiale ?
Enfin, heureusement Bobby, le labrador, adore la frangipane ! Tous les ans Bobby lui sauve la mise en engloutissant les morceaux que lui donne sa maîtresse.
Evidemment, Brigitte ne pouvait pas prévoir! Prévoir que Jacques avait soigneusement remplacé la fève par une bague en or pur serti de pierres précieuses, destinée à remplacer la très modeste petite bague de fiançailles offerte vingt années auparavant et pour laquelle il avait du économiser sur l’argent de sa bourse d’étudiant. Elle ne pouvait pas prévoir non plus qu’il avait fait en sorte que ce soit elle qui ait la fève, ni prévoir qu’il la surveillerait du coin de l’œil pour profiter de son regard en découvrant le bijou…
Evidemment, quand elle réalisa devant les invités stupéfaits qui étaient tous au courant de la surprise, qu’il faudrait guetter le chien pendant les prochaines quarante huit heures et récupérer le bijou dans des conditions pour le moins peu poétiques, elle se promit bien de ne plus jamais faire semblant d’aimer la frangipane !