Le Noël du père Noël

Récit par Justine Rougemont

LE NOEL DU PERE NOEL

Ce vingt quatre décembre tire à sa fin et le givre fleurit sur les carreaux du Boulevard Haussmann.
Que ne faut-il pas faire pour gagner cinq cents balles ! Moi qui n’ai jamais cru au père-Noël, j’ai raconté des niaiseries aux enfants toute la journée. As-tu été bien sage ? Que veux-tu que je t’apporte cette nuit ? Les gamins y croient dur comme fer, alors que leurs parents sortent des magasins avec des paquets plein les bras.
« Madame, une petite photo souvenir avec le père Noël ? ». Ils vont tous coller ma bobine dans leurs albums de famille, alors que je n’ai pas vu la mienne depuis des années.
J’ai failli moi-même avoir un enfant, mais la future maman a du penser que je ne présentais pas assez de garanties et a préféré interrompre l’aventure. Aurais-je changé pour autant, trouvé un travail fixe, arrêté le jaja, qui sait ?

Toujours est-il qu’en me décollant de ce foutu comptoir, je ne retrouverai que mon gourbi crasseux, au cinquième étage d’un immeuble bourgeois, certes, mais dont l’accès à l’ascenseur m’est interdit : « réservé aux appartements, m’a dit la concierge » pour les chambres de bonnes, il faut prendre l’escalier de service. Des bonnes il n’y en a plus, et à cet étage glacial ne survit plus qu’une petite vieille à qui la bignole prend dix balles pour descendre sa poubelle.
La mémé a, comme dans la chanson, deux canaris et une chatte. Malheureusement, la chatte a boulotté les canaris. Finis donc, les cui-cui du matin, je n’ai plus droit qu’à l’odeur du pipi de chat.
Un ivrogne, encore plus ivrogne que moi commence à me raconter sa vie, qu’il croît passionnante, le pauvre. Je ne comprends pas la moitié de son roman fleuve qui ne sera pas édité dans la collection Harlequin, vu que son haleine n’est pas parfumée à l’eau de rose.
Comme ce héros méconnu me réclame une tournée, je m’extirpe de mon tabouret en souhaitant un joyeux Noël au patron qui finit d’user son torchon en pensant au foie gras que lui a truffé sa femme.

Direction la rue Nollet. Les gens se pressent, emmitouflés, on se croirait dans un film des années cinquante, manque plus que la neige. Du côté des Batignolles, l’animation est plus discrète, les propriétaires sont déjà rentrés chez eux, filer quelques torgnolles à leurs moutards pour leur apprendre à s’impatienter au pied du sapin.
Pour un immeuble cossu, c’est un immeuble cossu ! Un seul appartement par étage, flonflons et guirlandes sont au rendez-vous. Chaque palier de l’escalier me renseigne sur l’état de cuisson de la dinde. Ceux du deuxième devraient se dépêcher de passer à table, sinon le bestiau va se dessécher.
Le rideau de la loge bouge sur mon passage, mais comme la grosse sait qu’elle n’aura pas d’étrennes, elle ne daigne pas me saluer. Dommage pour elle, demain je descendrai la poubelle de mémé, et gratuitement encore.
Mes quinze mètres carrés m’attendent patiemment, dans un état qui n’est pas celui où j’aurais souhaité les trouver en entrant !

Poulet froid et céleri rémoulade, avec, quel luxe, un nouveau Beaujolais, un vrai réveillon ! L’an dernier j’avais essayé le secours catholique, mais les vieux, les clodos et le bénédicité, très peu pour moi, ça faisait trop de bonheurs pour un seul soir.
J’écluse mon deuxième flacon quand un brouhaha se fait entendre dans la coursive. Il devient tintamarre et je ne peux plus écouter la radio télévision française, je me propulse donc jusqu’à la porte de mon humble logis.
Surprise, que vois-je ici paraître ? Un homme encagoulé, armé d’un engin dont je ne connais pas le numéro de série, qui tient sous le bras une petite chose, vêtue d’une robe genre Barbie, avec dentelles et rubans, mais au regard terrorisé. Le flingue se dirige illico sur la tempe du bonbon rose qui se met à crier plus fort que les canaris quand le chat les a croqués. Je me demande un instant si le Beaujolais n’était pas trafiqué, mais le canon qui s’enfonce dans mon estomac me renseigne clairement sur la réalité de la situation.
La porte se referme sur un mauvais polar. Je suis face à un abruti qui croyait opérer le casse du siècle, et ne récolte qu’une gamine en pleurs et un père Noël de pacotille.

 

La sirène des flics retentit dans la rue ainsi qu’un haut-parleur conseillant au «Monsieur» de se rendre. Celui-ci me fait passer devant lui, mains levées, sans faire l’imbécile.

Il me connaît mal, Imbécile c’est justement mon surnom. Je suis pris d’un élan d’héroïsme, peut-être parce que la petite appelle sa mère et qu’elle n’a pas eu le temps d’ouvrir ses cadeaux.
Au lieu d’obéir, je mets mon poing dans la figure du type et planque la fillette dans le placard. Au moment où je jette la clef par la fenêtre, le type reprend ses esprits et vide son chargeur sur moi. Nous nous agrippons l’un à l’autre et basculons dans la rue.
Pour une fois je serai descendu plus vite que par l’ascenseur.