Mont Ventoux
Récit par Justine Rougemont
photo Adrien Delforge
Bon à rien, mauvais à tout, mes vieux auraient du me mettre dans la finance plutôt que dans le bâtiment, car pour l’arnaque je suis doué. L’hôtelier à qui j’ai dit au revoir ce matin va le comprendre à ses dépends. Le salaire de trois semaines de vendanges que je viens d’effectuer, est en totalité dans mon portefeuille et il ne verra jamais le virement promis.
Quel naïf ce type, trois semaines d’hôtel, de demi-pension et de pleine boisson ! Il n’est pas prêt de m’oublier le bougnat.
Depuis quelques temps, je ne peux plus jouer les durs, prétendre à tout va que je peux m’arrêter quand je veux. Un jour j’ai essayé ! Intenable, horrible, l’angoisse, le vide, un gouffre ouvert sous mes pieds. Je n’ai pas tenu vingt quatre heures.
L’alcool a maintenant la première place dans ma vie, j’y pense du matin au soir et même parfois du soir au matin, quand je ne suis pas assez assommé pour dormir d’une traite. Je mange de moins en moins, j’en suis souvent réduit à faire la manche pour m’abreuver et à dormir sur un banc.
J’ai presque quarante ans et quand je regarde mon passé, je n’y vois que des réclames pour des marques d’apéritif.
Dire que je n’ai rien réussi dans ma vie serait faux, car j’ai réussi à mettre le bazar partout où je suis passé.
En premier lieu dans le ménage de mes parents, puis dans le mien, puis dans celui de mon frère.
Pour l’instant il faut que je trouve le moyen de sortir de ce trou gratuitement, car chaque franc dépensé, c’est un peu d’alcool en moins.
Un quart d’heure à faire le guignol au bord de la route avec le crachin qui commence à tomber. Enfin un automobiliste s’arrête, sympa il m’offre une cigarette et commence à me raconter sa vie, me parle de sa belle-mère! Il s’arrête pour faire le plein et va payer en laissant les clefs au contact. Erreur!
Deux heures après je m’arrête pour faire le plein, en litres étoilés. J’en prends vingt d’un coup et je torche tout de suite une première fillette.
La pluie se met à tomber sérieusement et c’est en me penchant pour attraper le deuxième litron que je fais une embardée.
Trois tonneaux dans une descente des côtes du Ventoux, quel gag! Il doit y avoir un Bon Dieu pour les poivrots, car je m’immobilise sur le toit, en équilibre entre le macadam et le ravin….
Pas facile de sortir d’une voiture à l’envers, surtout quand la porte est coincée. Des gens s’arrêtent et se mettent à gueuler. Ils tirent sur la portière qui résiste. Ne secouez pas comme ça, la voiture est en équilibre !
J’entends rouler les bouteilles, les dix-neuf bouteilles restantes que j’ai posées derrière….
C’est encore l’alcool qui décide de mon sort, la voiture se déséquilibre doucement et c’est la chute.
Cinquante mètres d’une seule traite, je crois que la cure de désintoxication ne sera pas nécessaire!©
