Quai de la rapée

Récit par Justine Rougemont

Photo par Par Geralix — Travail personnel.

Huit heures du mat. Ca fait plusieurs jours que je n’ai pas vu un peigne ni un morceau de savon. J’en suis à retourner le fond de mon sac pour acheter de quoi arroser un café avec du père Magloire. Direction le service social de la mairie de Paris. Cet endroit lugubre sent le tabac gris et le rôt vinassé et je compte deux à trois heures d’attente avec les clodos du coin ! J’évite de les regarder, sales, les yeux injectés, ils tremblent, ils me ressemblent, je les déteste. Je n’ai plus qu’une idée, sortir de ce merdier, prendre un train pour Le Havre et retrouver des gens que je connais, une oreille attentive, un peu de sécurité. En attendant il faut tenir le coup, obtenir un peu d’argent pour boire, car je n’ai pas eu la quantité qui m’est nécessaire et dans cet état je ne pourrai même pas aller jusqu’à Saint Lazare.

Enfin un travailleur social m’écoute, d’un air blasé. Sur production de ma carte d’identité, j’obtiens un billet de train, quarante euros et quelques chèques restaurant. Signez là, vous n’aurez plus rien avant deux mois. Je fonce au bistrot ingurgiter autant de ballons que mon estomac me le permet. Métro, bistro, Saint Lago. Dans La salle des pas perdus j’échange mes tickets restaurant contre du pognon et mon billet également. Les clients se trouvent facilement, car en plus des insultes je leur agite sous le nez le revolver que j’ai piqué hier à un compagnon d’infortune qui a du tenir une armurerie.

J’attrape le Paris-Le Havre avant que les flics ne me demandent le nom de mes parents et je m’installe en espérant que le contrôleur aura d’autres ivrognes à fouetter. Quand la carriole à boisson me réveille, nous avons dépassé Rouen, mais je n’ai pas le loisir de déguster ma bière car le grand vérificateur s’énerve un peu devant mon baratin. Descente rapide à Yvetôt où le chef de gare, sentant la relève imminente, me dit d’aller me faire verbaliser ailleurs. Qu’à cela ne tienne Que vois-je sur l’autre quai ? Le buffet de la gare.

Le besoin me tenaille à nouveau, je traverse les voies pour éviter le détour du passage souterrain.

Je fonce, mais le rapide va plus vite que moi. Je n’ai guère le temps de calculer l’âge du chauffeur et je comprends, le temps d’un éclair ce que veut dire « Métal hurlant.
Ma bière sera définitive et sans alcool. ©